Chez Kenneth White, on vient et revient sans cesse à cette voie double de l’expérience et de la transcendance. Dimension temporelle, essentiellement ambiguë : celle de l’éphémère instant et celle, atemporelle, qui dans les profondeurs insondables du lac sombre, a vu fusionner une éternité débarrassée de tous ses oripeaux, avec l’impermanence joyeuse déliée de toute dogmatique. C’est Pierre Leyris, préfacier de son premier livre publié en langue française, qui le premier a relevé chez Kenneth White une polarité, constituée de mouvements contraires, de moments dialectiques, de tensions contradictoires qui auraient pu broyer l’homme et le poète, mais dont il a su tirer la force d’un renouvellement constant. Génération, régénération, respiration, création, recréation, vacuité. Ce secret si longuement tenu en retrait aurait-il à voir avec la splendeur des éléments perçue par un jeune enfant à l’esprit vacant, sur une plage battue par les vents, à la lisière du monde ? Peut-être que la formule la plus simple et la plus secrète ne se révèle qu’à la toute candeur ? Pour l’esprit délivré de l’illusion de la séparation, le cri de l’oiseau n’est pas moins éloquent que la plus belle des formules, l’écorce du bouleau vaut bien tous les livres. Pourquoi renoncer dès lors au bonheur de l’un, à la grâce de l’autre ? L’étude a sa beauté, son sens et ses limites. Le poète délivre les unes des autres en écoutant, puis en disant le chant du monde. chant de simplicité, de rugosité, chant abrupt et subtil à la fois. La fulgurance frappe d’un autre rythme, elle excède toute saisie. Son esthétique tient entière dans son retrait, le monde blanc n’est-il pas aussi celui de l’instant où la foudre ouvre le paysage.

   Laurent Brunet, Postface au livre.