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Les Affinités extrêmes

Paris, Albin Michel, 2009.
Grand Prix Maurice Genevoix de l'Académie française 2010.

Présentation de l'éditeur

     Si Kenneth White sait traverser des territoires et habiter pleinement la terre, c’est aussi un aventurier de l’esprit qui évolue dans les espaces mentaux les plus exigeants, les plus rares – et les plus vivifiants.
     Il évoque dans cet essai littéraire aussi passionné que poétique son rapport personnel à quelques écrivains de langue française dont Breton, Michaux, Céline, Cioran, Segalen…, qu’il estime être parmi les plus libres et les plus stimulants de cette fin de modernité : prosateurs hors des limites du roman, poètes qui dépassent la philosophie.
     L’ensemble prend des allures de ce que White, styliste de talent et démocrate radical de toujours, appelle un       « manifeste anti-médiocratie ». Loin de tout dogmatisme, étranger aux modes intellectuelles de ce siècle débutant, ces Affinités extrêmes sont avant tout un guide d’indépendance d’esprit.

À écouter:  Entretien autour du livre avec Ronan Festoc : 1e partie ; 2e partie ; 3e partie.

Extraits
     Disons pour commencer que les écrivains dont il est question touchent, d’une manière ou d’une autre, à ce que Valéry appelle « l’extrême Nord humain » et Victor Hugo « l’homme en dehors de l’homme ». Tous extravaguent. Tous traversent des territoires marqués « tabou » sur les cartes de la bien-pensance correcte et de l’inquisition moralisatrice. Tous ont créé des œuvres qui ont du relief. De leur contiguïté on peut voir se dessiner un champ d’énergie où se conjuguent négativité et positivité, jouissance et lucidité, poésie et pensée. Dans tous les cas, de l’anarcho-géographie de Reclus au nihilisme mordant de Cioran, en passant par la lumière noire de Breton et les ombres fuligineuses de Céline, il s’agit de voyages de l’esprit au bout de la nuit, en vue d’une possible aurore intellectuelle, d’une puissante poétique du monde.
[…]
     Les figures qui traversent les pages de ce livre sont elles-mêmes avant tout des solitaires. Elles n’appartiennent à aucun milieu, et pour accomplir ce qu’elles avaient à accomplir, elles ont préféré vivre et travailler à l’écart, non seulement de la confusion de l’arène contemporaine, mais aussi de toutes les constructions idéologiques qui ont jalonné l’histoire. Ce sont les habitants clairvoyants d’une atopie dont on peut énumérer les régions, les « climats », comme ceci :
     – L’anarchie géographique de Reclus ;
     – l’asocialité rayonnante de Rimbaud ;
     – l’ascension ontologique de Segalen ;
     – l’animisme cosmique de Saint-John Perse ;
     – l’automatisme surréalisant de Breton ;
     – l’absolutisme jusqu’auboutiste de Céline ;
     – l’annihilation méditative de Michaux ;
     – l’alexandrinisme pérégrin de Cingria ;
     – l’australité lyrique de Delteil ;
     – l’aporie pyrrhonienne de Cioran.
     Pour résumer, les œuvres ici rassemblées ouvrent, à l’extrémité de notre modernité tardive, où tout s’amenuise, se trivialise à vue d’œil, sur un monde encore valable et vivable.

Extrait de l’Avant-Propos


     J’en arrive à la question de l’expression, à la poétique même, aux formes et aux forces de ce que j’aimerais appeler la « grande prose ».
     Apollinaire demandait qu’on lui pardonne de ne plus connaître l’ancien jeu du vers. Quand Cendrars compose ce qui constitue sans doute le poème-manifeste du XXe siècle, il l’intitule « La prose du transsibérien ». Depuis Baudelaire et Rimbaud, une poésie qui se débarrasse de la Poésie redécouvre le prosaïque, et plus précisément ce que Merleau-Ponty, dans la lignée de la phénoménologie, appelle « la prose du monde ».
     Perse se situe, et puissamment, dans cette mouvance. « Je t’ai pesé, poète, et t’ai trouvé de peu de poids. » Dans l’œuvre de Perse, le poète « sort de ses chambres millénaires », laisse aux « hommes de talent » le « jeu des clavecins », et, reprenant « le rôle premier du shaman », « monte aux remparts », en compagnie du vent. Il s’agit de retrouver l’équivalent des « grands ouvrages de l’esprit », de ces « grands textes épars où fume l’indicible » : « Les grands livres pénétrés de la pensée du vent, où sont-ils donc ? »

Extrait de » Saint-John Perse, la grande dérive »


     Terminons sur une petite conversation.
     Un jour, place de l’Odéon, Cioran me parla d’un été qu’il avait passé à Ibiza. Il y avait connu quelques illuminations (il évoqua notamment la lumière de l’aube qui semblait sortir des rochers), mais, dans l’ensemble, avait été affreusement malheureux.
     – Cela ne m’étonne pas. Quelle idée d’aller à Ibiza l’été ! Il n’y a que les guitaristes, les chasseurs sous-marins et les romanciers qui vont l’été à Ibiza…
     – C’est vrai. Et ils ont tous des transistors. C’est infernal.
     – Je vous aurais plutôt vu sur une île du Nord. Pas nécessairement Ultima Thule, mais une petite île bretonne, par exemple.
     – C’est du Nord que me sont venus tous mes maux : le rhumatisme, le catarrhe. J’avais besoin de soleil.
     – Ah bon.
     – Mais je déteste le soleil. Ce n’est pas pour moi.
     Silence.
     Aporie totale.
     – Vous allez donc rester ici – au milieu.
     – En pleine purée, je le crains.
     Et nous avons ri.
     Je ne passe jamais place de l’Odéon sans penser à lui.

Extrait de « Emil Cioran, la vacuité cosmogonique »

Presse
Chevaucheur de vent et grand voyageur de l’esprit, Kenneth White, en réinventant l’espace poétique, redonne un sol à nos énergies. […] Loin de tout ce qui récrimine, aplatit ou se lamente – et après s’être affranchi de toutes les illusions que l’humanité s’est inventées pour s’assurer d’un au-delà –, Kenneth White a choisi les champs ouverts de l’immanence contre les arrière-mondes de la causalité. Fondateur du mouvement géopoétique, il oppose à toutes les clôtures mentales de la raison raisonnante, la disponibilité du corps et de l’esprit. Il prône l’ouverture sur le territoire non codé de l’espace blanc. En brisant le carcan de la vie prisonnière du socio-personnel. En fuyant la médiocrité, en s’en allant, en traçant sa voie dans le dehors. En allant à la rencontre de son être essentiel, de son moi désencombré. À l’image […]  de tous ceux auxquels il rend hommage dans Les Affinités extrêmes. Des extravagants, des erratiques, de ceux qui refusent de se laisser réduire à la réalité étroite qu’ont définie des têtes bornées. Des aventuriers de l’espace et des explorateurs de l’être – indivisiblement. Qui s’expatrient, se déterritorialisent. […]
Un « manifeste anti-médiocratie », un livre de reconnaissances, qui brosse aussi une sorte d’autoportrait éclaté d’un esprit des plus vivifiants.
     Richard Blin, Le Matricule des Anges

Avec sa douzaine d’essais, ses recueils de poésie, ses récits, Kenneth White n’a plus à prouver ses qualités et ses forces intellectuelles : c'est un Écossais d'une curiosité insatiable, à la formation universitaire d'une solidité enviable, un francophile avoué mais qui garde sa distance critique face au monde intellectuel en France, qui vit sur la côte bretonne.
Dans son nouveau livre, Les affinités extrêmes, il explique les raisons qui lui font admirer, voire aimer, un certain nombre d'auteurs de langue française, « extrêmophiles, situés aux limites de la littérature », plus précisément le géographe Elisée Reclus, Rimbaud (celui de l'aventure africaine), Victor Segalen, médecin et poète-écrivain, Saint-John Perse, Breton, Céline, Michaux, le Suisse Charles-Albert Cingria, Joseph Delteil, Cioran. Ce qui lie ces écrivains-poètes et White : le côté brut de leurs œuvres et leur caractère extravagant, qui n'est pas synonyme d'excentrique. Sur quelques pages, l'essayiste concentre l'essence même de chacun  tout en posant des questions sur la portée de leurs écrits…
Comment résister devant son argumentation, toujours solidement ancrée dans son réseau de connaissances littéraires époustouflantes, jamais académiques ?
Ce livre est un plaisir de lecture qui nous mène hors des chemins battus, écrit dans le courage d'accompagner l'autre jusqu'au bout, lui laissant la liberté, son souffle.
     Hans-Jurgen Grief, Erudit, automne 2009.