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Un monde ouvert

Anthologie personnelle
Divers traducteurs. Paris, Poésie/Gallimard, 2007

Présentation de l'éditeur

     Difficile d'imaginer une ouverture au monde plus grande que celle qui se trouve dans ce parcours d'écriture tracé à travers tous les livres de poèmes de Kenneth White. En fait, chez cet poète au long cours, l'imagination s'efface devant l'investigation et l'expérience. Sa poétique explore un espace en dehors des lieux communs et des codes tout en s'affranchissant des illusions que l'humanité s'est inventées pour s'assurer un au-delà : la mythologie, la religion, la métaphysique, voire le sens de l'histoire. Il s'agit avant tout, dans cette œuvre sans concession, mais non sans humour, de maintenir, face au théâtre du monde, une distance et un silence où l'être peut encore accéder à une vraie présence, à une plénitude.
     Intellectuel nomade qui suit des circuits inédits, fondateur du mouvement géopoétique, Kenneth White s'affirme, par les perspectives multiples qu'il a mises au jour, comme l'un des créateurs les plus éclairants et les plus décisifs de l'époque. Solitaire, en son « atelier atlantique » de la côte nord de la Bretagne, il est pourtant au cœur de tous les grands questionnements, et sa poésie, qui prend souvent la forme d'un livre d'heures, se révèle un puissant viatique.

Extraits
Finisterra
ou
La logique de la baie de Lannion


C'est dans la forme des caps
c'est dans la façon qu'ont les vagues
de se briser sur la côte
(avec un long et lent chpouf contre les rocs)
c'est dans la lumière changeante
c'est dans le clair silence de ce matin d'avril

là-bas au Yaudet
qui fut base romaine
avant d'adopter
la syntaxe du Christianisme
on peut voir le Léguer
(qui rappelle la Loire
ainsi que toutes les autres eaux ligures)
courir vers son estuaire
dans l'éclat bleu-vert de ses eaux

après cela
marcher sur le chemin côtier
depuis, disons, la vallée de Goaslagorn
jusqu'à la plage de Pors Mabo
c'est aller entre fleurs et flots
cherchant quelle blancheur
ajouter à ces blancheurs

les avancées qui viennent à l'esprit
sont le Dourven
(au large, le naufrage de l'Azalée )
Bihit
qui cache à la vue l'île de Milo
(à qui Brandan rendit peut-être une amicale visite)
et tout au loin
perdu dans la brume et la lumière
Roscoff, la fin des terres

épines, pins et bruyères
ajoncs et genêts
dévalent
vers l'anse sableuse des plages
et c'est un grand arc de terre
indiquant l'Atlantique
qui s'étend, là, devant soi

je revois ce jour, il y a quelques années
où, venu ici pour la première fois
adossé à un pin
au-dessus de Pors Mabo
je lisais Pyrrhon
dans la version du XVIIe siècle d'Estienne :
« Cet ouvrage traite-t-il de choses sérieuses
ou de noise ?
– Je suspends mon jugement.
– Quel en est le sujet ?
– Je ne comprends pas.
– Qu'as-tu défini ?
– Je ne définis pas.
– Que fais-tu donc ?
– Je me contente de regarder. »

de regarder ce lieu
de regarder dans ce lieu
et tout à la fois
dans les circuits de mon cerveau

dans les aubes de l'été
dans les soirs dorés de l'automne
dans les brumes glacées de l'hiver
à l'instar de ces vieux taoïstes
qui fondèrent l'Académie des Goélands
(un oiseau et un œil, un oiseau et un œil
l'idéogramme pour monastère)
une académie sans murs
contemplation active : pas d'idéaux, pas d'idoles
et pas de projections trop hâtives
trop personnelles, trop poétiques
plutôt des reconnaissances de longue portée
dans l'espace et dans le temps

en homme qui a étudié
la grammaire du granit
j'ai marché en ce lieu
en homme qui voudrait faire l'équation
entre paysage et pensée
j'ai marché en ce lieu
en homme qui aime
les voies et les vagues du silence
j'ai marché en ce lieu

qui sait, peut-être
dans les temps futurs
un peu après la dernière catastrophe
un touriste curieux venu de l'espace
marchera-t-il sur ce même sentier
conscient de mon fantôme :
toujours ici à suivre les lignes
toujours à regarder dans la lumière.

Presse
Peu d’œuvres poétiques, au moment où la survie de l’espèce humaine paraît remise en cause, se sont davantage interrogées sur la place de l’homme dans le monde et sur ce que signifie « habiter poétiquement la terre ». Des préoccupations d’une brûlante actualité traversent cette anthologie : l’urgence de reconnaître la terre (au sens d’espace biosphérique) comme seul et unique bien commun ; le préalable que constitue le déconditionnement culturel pour appréhender l’unité du monde ; la primauté d’une parole poétique dégagée de tous les discours ambiants (religieux, idéologiques, médiatiques et même littéraires) en vue d’atteindre et d’étreindre une réalité pllus flottante que rugueuse.
     Franck Adani, Études

Depuis son premier recueil en 1962, le grand poète écossais a fait de chacun de ses mots un pas en avant dans la découverte du monde. Bretagne, Pyrénées, Canada, océan Indien : cette anthologie reprend l’ensemble de son œuvre poétique et invite au voyage. Les poèmes n’illustrent pas un paysage, ils tentent d’en retrouver la courbe. Ils ne décrivent pas, ils dessilent les yeux. « La question est d’unifier, de simplifier, de pénétrer. » Ses chants, White les compose avec les choses mêmes : un sentier rocailleux, le sable rouge, le bateau à moteur qui crachote, la blancheur brumeuse de l’air, un verre de whisky. Rien à ajouter, rien à commenter, puisque « tout est là dehors ». Une splendeur.
     P. C., Croire aujourd'hui.

L’anthologie personnelle de l’auteur se présente sous un titre qui pourrait être celui de chacun de ses livres. Et à l’envers : ouvert au monde. Tel est le poète voyageur, lumineux intercesseur. Rien n’est obscur. L’approche est rapide, le contact direct avec ce qu’il montre. Pour les avoir ressentis autant que les avoir vus, il est à l’intérieur des paysages et des êtres. La géographie est source de sons : langues étrangères, cris d’animaux. Le concret de la matière, granit ou varech, trouve écho dans les mots. Parfois, rarement, surgit un concept, presque incongru : « la synthèse, voilà le mot ». Tout de suite accroché au réel : les poèmes de White viennent du monde et y ramènent. On y arpente la planète les yeux ouverts.
     Pierre Maury, Le Soir (Belgique).

Rien de plus beau, pour ce poète de grand vent, que de marcher sur un rivage, celui de l'Ecosse de son enfance, ou celui qui longe son « atelier atlantique » d'aujourd'hui, sur la côte nord de la Bretagne. « Je ne connais de rythme que de la mer et du vent - et du vol des goélands », écrivait-il dans la préface de son premier recueil de poèmes - En toute candeur (Mercure de France 1964), où Pierre Leyris trouvait la « grâce poignante des choses premières ». Entre-temps, le « poète cosmographe » a parcouru le monde entier, de l'Occident à l'Orient, du Labrador à l'océan Indien. Lire Un monde ouvert, la vivifiante anthologie personnelle qui retrace ce parcours de quarante années d'écriture, c'est accéder au silence et à la plénitude, depuis « un lieu d’où regarder ».
     Monique Pétillon, « Un poète de grand vent », Le Monde.

Kenneth White est un poète du voyage et de la nature, qu’il décrit d’une façon nouvelle et singulière, dans un phrasé simple et accessible qui ne retire rien à la dimension onirique des thèmes abordés : l’espace, la grandeur du monde et de l’horizon, le ciel ponctué d’oiseaux, l’évasion de la solitude et les différents minéraux qui forment un sol rassurant et stable pour nos vies humaines. Du haut de notre jeune âge, l’idéal pour se plonger dans les écrits de Kenneth White reste son anthologie personnelle, Un monde ouvert, parue dans la collection poésie de Gallimard, qu’il convient à mes yeux de découvrir, pour une lecture optimale, entre deux correspondances en train. On a là, en format poche, dans nos mains qui aimeraient tenir du sable de toutes les plages du monde, une ode au granit, à la terre, aux oiseaux divers, aux autres créatures du monde, à la mer, aux saisons, aux forêts, aux vents et aux montagnes enneigées. Kenneth White décrit superbement notre monde ouvert, dans un style intime et dépouillé, dans une courte construction de vers qui sentent les embruns et qui invitent au voyage. Luxe, calme et volupté, comme aurait pu écrire un autre grand poète.
Dans son anthologie personnelle, Kenneth White s’intéresse également aux destins de grands hommes et d’anonymes qu’il associe à la description d’une nature sauvage et immaculée dans laquelle il convient de se fondre pour se réaliser. Ainsi, Le Testament d’Ovide m’apparaît dans cette anthologie comme l’un des plus beaux poèmes que j’aie lus, d’une surprenante et originale romanité. « Le monde se révélait / plus vaste et plus exigeant / que je ne l’avais imaginé. », fait dire Kenneth White au grand auteur latin. Voilà qui pourrait servir de conclusion pour vous encourager vivement à découvrir les poèmes d’un ermite qui parle aux foules par une poésie simple et épurée, mais pleine d’une beauté sauvage et délivrée.
     Basile Imbert, http://maze.fr/litterature/02/2016/43970/