accueil
portrait
portrait
portrait
portrait
portrait
portrait
portrait
© 2008 - Une réalisation Symbiose Informatique - Création graphique : Sucré Salé     fr    us

Le Passage extérieur

Édition bilingue. Traduit de l'anglais par Marie-Claude White.
Paris, Mercure de France, 2005.

Présentation de l’éditeur

     La poétique de Kenneth White ouvre un espace non seulement en dehors des lieux communs et des codes, mais aussi en dehors des contextes que l’humanité s’est forgés pour se fournir un au-delà : la mythologie, la religion, la métaphysique et le sens de l’histoire, dont les restes, caricaturaux, servent toujours à donner une aura aux réalités dérisoires et à la déréalisation croissante d’un monde fermé sur lui-même et ses fantasmes.
     Ce que White entend par « passage extérieur » se dégage de manière diverse des quatre sections de ce livre : «Éloge de l’isolement », « Souvenirs de la province des pluies », « Le manuscrit des Mascareignes » et « Lettres du promontoire », où une méditation profonde s’allie à un humour… transcendantal. Dans tous les cas et dans tous les lieux limites évoqués dans ces « passages extérieurs », il est question de maintenir, face au théâtre du monde, une distance et un silence où l’être peut encore connaître une présence et une plénitude.

Extraits
Prologue (fragment)

     La poésie la plus vivace ne se trouve pas dans la Poésie, pas plus que la pensée la plus vive ne se trouve nécessairement dans la Philosophie.
     Parlons plutôt, plus sobrement, d’une extériorité, du nécessaire maintien d’une extériorité, dans un monde devenu par trop enfermé (psychologisé, sociologisé, vulgarisé). Parlons d’un au-delà des codes, d’un au-delà de l’identité. Parlons d’un voyage dans le monde ouvert. Dans un espace situé au-delà des lieux communs, et dont la cartographie ne sera jamais complète.
     Exquises esquisses…
     La philosophie du passage prend la relève de la philosophie de l’être. Mais le dernier mot du passage extérieur, c’est la poésie, et en particulier la géopoétique, puisqu’elle projette l’homme en dehors de l’humain.


À la pointe Saint-Mathieu

Quand Mathieu quitta la Galilée
il se dirigea vers des mers éloignées

arrivé en Celtie, tout au bout du continent
il rencontra le vieil Énoch, un livre à la main

comme il avait lui-même écrit un ouvrage
Mathieu était curieux d’en feuilleter quelques pages

« Il y est question des rochers, des vagues et du vent
de leur formation et de leur comportement »

« Mais Dieu et l’amour et le péché, où ils sont ?
Quel salut y a-t-il dans la nageoire d’un poisson ? »

le vieil Énoch ne fit pas de commentaire
il se contenta de regarder le ciel et la mer

Mathieu pensa : voilà qui n’est pas courant
je vais m’attarder dans le coin quelque temps.


L’être, le néant et une bouteille de rhum


Voici venus les jours sans vent
le calme équatorial

rockabye baby
(chanté par un marin bourré)

en haut dans les arbres
les noddis sont flapis

en bas, au sol
les tortues suivent leur cadence habituelle
lent, très lent, stop

ici dans le cabanon
j’hésite, suant
entre un traité sur le nihilisme tropical
et un état inarticulé de nirvana total.


Le philosophe sur la plage

Le philosophe baroque
marche sur la plage rocailleuse

se parlant à lui-même
comme un lézard détraqué

observe une sterne huppée
et pense : Schopenhauer…

aperçoit un oiseau de paradis
et s’écrie : Nietzsche !

mesure les ondes de son cerveau
tout au long de l’après-midi

met de la métaphysique dans son gin
quand le soleil se couche

quand le soleil existentiel
se couche.

Presse
Composé de plusieurs « livres » – dont « Éloge de l’isolement » qui rameute les ombres du passé, poètes, navigateurs ou savants de jadis et d’ailleurs, plus proches que les vivants – le recueil donne à voir le vaste monde avec humour, précision, avec un goût toujours réjouisant du suspense et de l’ellipse. White ne saurait être poète sans être météorologue chroniqueur des vents et marées, géologue, bien sûr, ornithologue comme son cher Henry Thoreau, géographe et cartographe, érudit tenant sa place dans une généalogie d’hommes d’Orient et d’Occident, qui mirent au jour la création depuis les premiers chants d’Orphée. Ainsi parvient-t-il à « sortir  de la poésie personnelle sans se perdre dans une poésie sociale, sans se figer dans une poésie trop pure ». Ce qu’il appelle l’« océanisation de l’être » et la disparition de l’identité personnelle. Loin d’être déshumanisée, l’œuvre innombrable de ce poète témoigne profondément de l’homme, avec tendresse et rigueur.
     Laurence Liban, "La cosmogonie de White", Lire

Kenneth White a depuis longtemps exposé la littérature aux grands vents du dehors, loin des cabinets de lecture confinés. Loin de certaines épidémies, de certains typhus autorisés qui déciment périodiquement et immanquablement le monde des arts et des lettres. […]
Les poèmes de Kenneth White, portraits médités de visages, de lieux, de sensations, sont les canaux d’une philosophie, elle, atopique… Des condensés de philosophie à l’état naissant (les braises y sont encore incandescentes)…
De ces relevés du vent, du sable, de l’océan, il nous a rapporté des pierres et des mots, du sel, des brindilles et le feu même qui s’en nourrit. Des poèmes qui ont fait passer le monde en eux et ont donné corps et lieu à ce qui est sans lieu.
     Olivier Capparos, La Revue littéraire

Kenneth White tente de se frayer un passage au-delà de tout esthétisme et de tout intellectualisme vers une sorte de conscience sensible élargie d’un monde que notre civilisation réduit de plus en plus à de vulgaires artefacts […] Les textes de ce recueil, comme d'ailleurs des précédents, Les Rives du silence ou Limites et Marges), dépourvus de toute intention esthétisante ou symbolique, appuyés sur le hic et nunc d'une sensation rapidement installée dans un contexte narratif discret, apparaissent le plus souvent comme autant d'impermanentes épiphanies, d'occasions sans cesse renouvelées de dessiller l'esprit et de provoquer cette « pensée-sensation », qui seule peut raccorder cet « homme parcellaire » que nous sommes devenus, aux éléments fondamentaux de l'univers.
     Georges Guillain, La Quinzaine littéraire

Dans un monde « devenu par trop enfermé (psychologisé, sociologisé, vulgarisé) », il s’agit d’oublier habitudes et habiletés acquises pour s’ouvrir à l’espace d’un dehors, s’aventurer au-delà de ce qui va de soi, et vivre à l’écart des lieux communs selon les normes d’une autre économie existentielle et culturelle. Il s’agit d’accéder à « un au-delà des codes » et à « un au-delà de l’identité ». Pour Kenneth White, la philosophie du passage prend la relève de l’être.  […] Sortir de la poésie de la personne, du moi et du mot (pour le mot), pour aller à la rencontre du non-humain, de la poésie du monde, de la densité du primitif. Faire l’expérience du réel dans ce qu’il a de plus fascinant. L’appréhender au plus près « de l’os, de l’aile/de la vague/et de la pierre ».
     Richard Blin, Le Mensuel littéraire et poétique (Bruxelles)