Édition bilingue. Traduit de l'anglais par Marie-Claude White. Paris, Mercure de France, 2000.
Préfacede l'auteur (fragment)
Ce livre commence par évoquer une situation historique précise, où une certaine marginalité rejoignait un sens de l’altitude : la montagne devenait, pas à pas, un état d’esprit. Ensuite, en déployant quelques cartes (générales, particulières et curieuses) du monde, en pointant l’amer sur les caps, en reblanchissant les maisons à sémaphores, il tente, à l’instar de mes autres livres, d’ouvrir un espace de pensée poétique planétaire, sous le double signe de l’intensité et de l’amplitude, selon le double mouvement de l’investigation et de l’expansion. Puis, dans une dernière partie, on trouvera des poèmes plus courts, écrits en passant par divers lieux de la terre. J’ai toujours été fasciné par les choses que l’on rencontre dans des endroits peu fréquentés : balises sonores aux pays de brumes, débris laissés par les marées, stèles des steppes, lichens sur un plateau sans histoire, petits cairns de montagnards et de caravaniers, marques géodésiques. Cette troisième partie peut se lire peut-être comme une sorte de livre d’heures, de carnet de route d’un pèlerin du vide-plénitude.
Extraits
Dans la nuit de Nashvak
Nuit sur le Labrador myriades d’oiseaux dans le demi-jour posés, apaisés seuls quelques rares envols encore là-bas, ce passage de mouettes Sabines
serait-ce une mort ? ou le prélude à une autre vie ?
la question, trop lourde perturbe ces ondes de silence plutôt attendre jouir de ce demi-jour
des langues de mer des langues de mer venues du nord remontant les baies et les fjords lapant le roc archéen diront le poème au-delà des questions
ils dorment les canards, les oies, les pluviers tous dorment cette terre, un immense sanctuaire
relâche sur le long chemin des migrations
relâche
dans cette nuit entre l’Ancien Monde et le Nouveau pénétrer plus loin toujours plus loin dans un monde ni nouveau ni ancien
un monde ni ancien ni nouveau suivre jusqu’au bout le chemin des oiseaux
......
l’aube point dans le cri de l’oie sauvage.
Kant à Königsberg
Cette ville, grise et vieille
où jour après jour j’ouvre mes livres et voyage à travers les paragraphes parcourant le dur chemin qui me mène à la clarté
sortir du langage inadéquat que l’humanité s’est infligé la lumière, c’est cela
labeur quotidien, routine quotidienne
un de ces matins je me promets de partir pour une longue promenade tranquille le long de la côte balte au-delà de Fischhausen.
Presse
Il y a toujours chez Kenneth White ce désir de sortir du temps, de la culture, de soi-même. Véritable voyage « pas à pas au travers du réel », nous allons vers un horizon capable de nous transfigurer tout en restant présents au monde […]. La poésie est ce réel sans limite toujours projeté en avant et la place que l’homme y occupe n’est plus qu’une part dans ce grand tout. Chant clair et net qui rassemble l’épars telles « les feuilles d’un atlas » immense, écrit au cours de tous les temps […]. Kenneth White nous tend d’un livre à l’autre « la conscience d’un espace quasi infini/et d’une complexe et mouvante réalité ». Nous ne sommes jamais enfermés dans un de ces livres, Kenneth White montre, fait signe, puis s’efface. […] Dans la densité de cette parole qui ne veut suivre ni les mythes, ni les symboles, nous allons vers le « chant de la terre », vers l’urgence, vers un plaisir d’exister loin de la médiocrité. J.-M. Corbusier, Le Mensuel littéraire et poétique (Bruxelles)
À l’heure où Paris, enceint d’aucune aventure, porté par aucun enthousiasme, revisite son passé et ses pavés, Kenneth White nous offre un recueil de poèmes, contenant trois livres : « Mémoires de la montagne », « Feuilles d’un atlas atlantique », « La laisse de haute mer » ; nous voici tout à coup saisi, envoûté, embarqué par une langue nue, démaquillée, maigre comme un lézard. […] Le monde est là, présent, avec ses formes, ses lignes, son silence, régalant l’œil, nourrissant l’esprit. Christian Laborde, Le Figaro Magazine