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Les Rives du silence

Édition bilingue. Traduit de l'anglais par Marie-Claude White.
Paris, Mercure de France, 1997.

Préface de l'auteur (fragment)

     Depuis des années, si je passe par les cités, je fréquente surtout les côtes…
     À la fois limite et ouverture, aire de résistance et de dissipation, ligne définissante et invitation au vide, la côte est sans doute le lieu par excellence d’une poétique de l’énergie, d’une cosmographie en action, d’une méditation mouvante.
     La variété des types de côtes se traduit par l’extrême diversité des aspects que peut prendre le trait de côte. Pour le décrire, on dispose d’un vocabulaire à la fois complexe et précis : interface terre-mer-vent ; mouvements migratoires, mouvements ondulatoires ; prélittoral, sublittoral ; variabilité, discontinuité ; submersion, divagation ; paysage initial, modalités graduées…
     J’en suis venu à préférer, et de loin, ce genre de vocabulaire à toute la terminologie littéraire dont nous avons hérité.
     Tel est, en tout cas, l’arrière-plan physique et mental de ce volume Les Rives du silence qui est constitué de trois livres distincts.
     Le premier contient des poèmes courts (comme une traînée aléatoire de galets), le deuxième, des poèmes plus longs (marches le long de la plage), le troisième consiste en un seul long poème (la vue de la côte entière à partir d’un lieu d’élévation).
     Le volume couvre une période de neuf ans — neuf années de travail poétique concentré et de pérégrinations en divers lieux de la terre.
     Faire œuvre poétique aujourd’hui, plus encore que jeter un défi, c’est parler dans le désert. Heureusement, il y a encore des individus qui résistent à l’amorphe, à la congestion qui sont la marque de notre état de civilisation. En publiant un livre de poésie aujourd’hui, c’est évidemment à ceux-là que l’on s’adresse, et peut-être, qui sait, à l’avenir.

Extraits
Le méditant

C’était le froid parler des mouettes qu’il aimait
et la pluie chuchotant à la fenêtre de l’ouest
les longs jours, les longues nuits
où il avançait
dans ce qui demeurait sans nom
(malgré les cartes épinglées aux murs
et en bas
toute une bibliothèque de sciences)

dehors
à la fin de ce sombre hiver
il voyait des fumées bleues, des eaux vertes
comme jamais il n’en avait vu
cela lui suffisait
un corbeau affairé sur une branche
le faisait rire aux éclats
la forme de la moindre feuille
excitait son esprit
son intelligence
dansait parmi des mots adéquats.


Lettre de la mer Noire

(Ovide parle)

Encore un hiver sarmate qui s’en vient
biques bêlant dans mon simulacre de jardin
la pluie et les flèches tombent à longueur de semaine
(combien d’étés que je n’ai humé une rose romaine !)
les yeux chassieux, du givre sur le menton

pourquoi m’entêter à pratiquer mon art ?
eh bien, cela me fait oublier tous ces balourds
le crissement de mon stylet sur la page
me charme les oreilles, apaise ma rage
je sais maintenant que je finirai ici mes jours

voici donc un homme qui écoute la neige tomber
et laisse les heures lentement s’étirer
une telle distance, un tel silence comblent maintenant ma vie
le poisson salé est à présent mon plat favori
j’ai été un grand poète romain — il y a de cela tant d’années.

Presse
[Avec Kenneth White] il ne s’agit jamais de l’utopie qui consisterait à croire en la possibilité de sauver le monde, mais de la certitude que la poésie constitue en elle-même un fragment de monde sauf. […] Tout est dit en peu de mots, en séquences brèves, même lorsque les poèmes sont longs, mêlant modestie du verbe et complexité de la réflexion […]. Se dessine un autoportrait, celui du « Méditant » dans sa bibliothèque, mais qui occupe des endroits successifs au gré de ses voyages erratiques, de la Norvège au Japon, de la Corse aux Caraïbes, de l’Italie aux Etats-Unis.
     Corinne Bayle, Le Nouveau Recueil

Chez Kenneth White, les poèmes courts unissent le minuscule au plus vaste, par exemple : « Sur les ailes de la libellule/l’immense tranquillité/de ce matin d’automne. » Parfois  ils relèvent d’une légèreté joueuse à la limite entre le petit rien et le grand tout : « Ah, Pyrénées/Pyrénées, ah/ah, Pyrénées ». Dans les plus longs, le moi poétique s’allie souvent des personnages du présent (tel pêcheur rencontré) ou du passé (Ovide, Whitman…) dont les propos se mêlent aux siens ou les sous-tendent, dans une comunauté de désirs et de choix. Le lecteur se sent entrer dans ce groupe d’esprits ouverts qui ne saurait être figé, former une lignée ou une école. On respire mieux en lisant Kenneth White : on se sent comme soulagé de tout ce qui, autour de nous, écrase ou étouffe.
     Denitza Bantcheva, La Tribune internationale des langues vivantes