accueil
portrait
portrait
portrait
portrait
portrait
portrait
portrait
© 2008 - Une réalisation Symbiose Informatique - Création graphique : Sucré Salé     fr    us

Atlantica

Édition bilingue. Traduit de l'anglais par Marie-Claude White.
Paris, Grasset, 1986. Prix Alfred de Vigny 1987.

Préface de l'auteur

     Valéry évoque quelque part ces moines de l’Extrême-Occident qui, témoins de l’effondrement d’une civilisation, s’isolaient afin d’écrire d’« immenses poèmes », dans le but de sauver ce qui pouvait l’être.
     J’ai beaucoup pensé à eux, et à leurs homologues sur d’autres continents, à des époques diverses. Mais ici il s’agit moins de sauver une culture que de prendre ses distances vis-à-vis du fatras et des fadaises, de se mouvoir, méditativement, dans un espace élémentaire, et de pénétrer jusqu’à une conscience première où, à une sensation d’immensité, s’allient quelques perceptions précises, quelques moments exacts.
     Disons, un peu de biocosmopoésie, un peu de pensée chaoticiste…

(Le dessin de la couverture, repris du Chaos sensible de Théodore Schwenk, représente le mouvement des eaux autour de Terre-Neuve.)

Extraits
Hölderlin à Bordeaux

Peu enclin à la conversation
quand les langues commençaient
à débiter les opinions
il préférait partir
se promener le long du fleuve

« pourquoi des poètes en un temps de manque ?…
je fais ce que je peux du mieux que je peux…
tout prend place
dans le travail en cours… »

c’était aux jours rouges d’automne
le raisin était mûr
sur les coteaux de Garonne
et il gardait le souvenir d’amis embarqués
au promontoire venté…

là-bas, en Allemagne
il n’y avait rien pour lui
mais il y retournerait
il y retournerait
pour trouver quoi ?
une fenêtre sur une forêt, peut-être
un peu de lumière philosophique…

chaque jour des bateaux quittaient le port
pour les Indes, les Amériques
il arpentait les quais
et les regardait partir
son voyage à lui
le conduisait ailleurs –
mais jusqu’où pourrait-il aller
quand tout avait disparu
sous l’habitude et l‘insignifiance
et les opinions creuses ?

on avait beau penser à la Grèce
traduire les tragédies
se complaire à cette hyperbole archaïque
rêver à l’idéal
le paysage avait changé
totalement changé
il l’avait senti cette horrible nuit
en traversant l’Auvergne
perdu
dans la glace et la neige
il l’avait senti
le paysage avait changé
plus froid
plus escarpé
informe –
la poésie elle-même devait changer

nul dieu à célébrer
dans un théâtre ensoleillé
un néant à affronter
dans un espace ouvert…

errant dans les rues de Bordeaux
aux jours rouges de septembre
il regardait les ombres
lentement se déplacer
voyait à quelque haute fenêtre
un beau visage
apparaître, puis disparaître

il lui faudrait apprendre
à voyager seul.


La musique du paysage

J’écoute, j’accueille
(un matin, fin août)
la musique du paysage :
vent du large
qui voile le vallon de Goaslagorn
de brusques rafales de bruine
vols d’oiseaux vagissants
au-dessus des champs
jeunes bouleaux
aux troncs à peine givrés
qui chuchotent dans la pluie
sapins hirsutes et rauques sur l’horizon
le long du rivage
(toutes les îles sont noyées de brume
mais l’écume les ourle
d’un grondement muet)
une mouvance, une inconstance
une bruyante turbulence :
masses de sons désordonnées
percées de cris aigus
ou une vague qui se brise
sur un rocher gravé par la glace
(ce lieu ne se prête pas
aux sympathies ou aux symphonies
à une quelconque
harmonie :
le temps varie sans cesse
et du complexe centré de Ploumanac’h
à la pointe du Dourven
le relief est rude) –
pourtant il y a là
quelque chose comme une musique
dans la pluie grise
et les cris aigres
et le vent
qui voyage dans les ciels changeants
quelque chose
qui comble l’esprit
au-delà de toute mesure
qui répond
à ses plus hautes exigences :
refusant les équations trop faciles
se riant des questions inutiles.

Presse
     C’est vers l’Atlantique Nord que se tourne Kenneth White dans ce nouveau livre, qui a pour sous-titre « Mouvements et méditations ». Dans les vingt poèmes, tous assez longs, le poète nous entraîne des Pyrénées en Amérique, puis retraverse l’Atlantique vers la Bretagne. Chaque poème est une méditation à la fois au sens occidental de pensée soutenue, et au sens oriental où il s’agit de se vider l’esprit pour laisser les pensées aller et venir comme les vagues de la mer.
     L’éventail des références est vaste et la compagnie choisie : Melville, saint Brandan, Érigène, Hölderlin, Valéry, Han Shan, auxquels viennent se joindre maints navigateurs anonymes. Si l’on pouvait imaginer une poésie qui rapprocherait le pédagogisme cosmique de Hugh MacDiarmid et le lyrisme discret de Gary Snyder, on obtiendrait peut-être quelque chose comme Atlantica, mais le vers souple et ample de Kenneth White a ses propres modalités et suit ses propres voies :

vers une écriture
qui vise plus haut
que l’art de faire des vers
avec de plates généralités
et des jérémiades

archipel atlantique
le sentiment de quelque chose
à recueillir


    Douglas Sealy, Irish Times