Édition bilingue. Traduit de l'anglais par Marie-Claude White. Paris, Mercure de France, 1979.
Épigraphe au livre
“Quand par la méditation yogique un lien a été établi entre la conscience humaine normale et la conscience cosmique, l’homme arrive à la vraie compréhension de lui-même. Simultanément naît le Grand Geste, (la mahamudra).” Evans-Wentz, Le Yoga tibétain.
Extraits
Interprétations d’un pin tordu
1. J’ai commencé par pousser tout droit comme qui que ce soit
2. Suivirent alors
un virage vers le sud une inclinaison vers l’est une poussée vers le nord et un brusque tournant vers l’ouest
3. Donc, si vous m’approchez attendez-vous à un brin de folie
il n’y a pas que des pins dans ma philosophie
4. Oui, je dépasse la botanique je suis un signe cosmologique
5. Je suis idiomatique je suis idiosyncrasique
je suis présocratique
6. Peut-être même chinois, un peu
comme Li Po, Tou Fou et M. Tchuang-tseu
7. Je vis paisible mais les vents me prennent pour cible
ma métaphysique est une danse au cœur de l’existence
8. Les branches de mon cerveau vibrent au soleil et au vent
la forêt de mon esprit et fécondée par la pluie
ma résine est ma raison
9. Regardez sur le ciel le pin fou, très réel.
Sur l’île aux oiseaux
1. Né du moi confus du corps troublé et de l’esprit dément né des pages du savoir jetées au vent né du vol de la mouette rieuse et des échos de son cri né des images embrasées dans le sombre océan de la nuit né de tant de contradictions glace brûlant et feu gelé le blanc, le vide, le nu voilà ce que j’ai toujours recherché
2. Ici, sur l’île aux oiseaux où l’océan vient déferler en cercles d’écume rageuse autour des rocs fracturés où l’esprit s’élève sur les ailes du fou ou bien s’abîme à contempler le quartz blanc d’un caillou j’ai retrouvé mon être vrai qui est incandescence la pensée à peine perceptible perdue dans l’immanence.
Presse
La poésie de Kenneth White possède le don, quasi exceptionnel en Occident, de désigner en quelques vers parfaits comme un cristal de roche, ce territoire escarpé de l’être, ce monde blanc, réel et sans prestige, où éclot une parole universelle, libre infiniment des « modernités » à la petite semaine. […] Grammaire subtile qui déconditionne le lecteur, lui ouvre un espace tonique, revivifiant. […] Langue métaphysique pure qui atteint et découvre le corps vivant du monde : de la contemplaion des rochers déchiquetés par les tempêtes océanes à l’envol splendide du héron au-dessus des brouillards de l’aube. Jean-Michel Varenne, Nouvelle Littéraire
L’érudition de Kenneth White est d’un caractère particulier : il se passionne pour les techniques extrême-orientales d’appréhension du monde et de perfectionnement intérieur, sans pour autant oublier ni les présocratiques ni la leçon de Baudelaire pour qui la poésie est le réel absolu. Il élabore une métaphysique sans Dieu, où le corps devient l’élément essentiel. Hubert Juin, La Quinzaine littéraire.