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La Route bleue

Traduit de l'anglais par Marie-Claude White.
Paris, Grasset, 1983. Prix Médicis étranger 1983.
Paris, Livre de poche, 1984.

Préface (fragments)

     Mais qu’est-ce qu’une route bleue ? me direz-vous. Je n’en sais trop rien moi-même. Il y a le bleu du grand ciel, bien sûr, il y a le bleu du fleuve, le majestueux Saint-Laurent, et, plus loin, il y a le bleu de la glace. Mais toutes ces notions, ainsi que quelques autres qui me viennent à l’esprit, si elles parlent à mes sens et à mon imagination, sont loin d’épuiser la profondeur de ce « bleu ».[…]
     Peut-être la route bleue est-elle ce passage parmi les silences bleus du Labrador.
     Peut-être l’idée est-elle d’aller aussi loin que possible – jusqu’au bout de soi-même – jusqu’à un territoire où le temps se convertit en espace, où les choses apparaissent dans toute leur nudité et où le vent souffle, anonyme.
     Peut-être.
     La route bleue, c’est peut-être tout simplement le chemin du possible.
     De toute façon, je voulais sortir, aller là-haut et voir.

Extraits
     Jetées, promontoires, caps.
     Je suis resté au bout de la jetée à regarder les mouettes.
     Cette danse blanche !
     « Qu’est-ce que le chaoticisme, monsieur White ? »
     Un besoin de mots qui transmettent énergie et espace.
     Le bond dans une autre logique.
     Éroto-cosmologie.
     J’étais ivre de vent. Ivre de la grande rumeur blanche du Saint-Laurent. Ivre d’idées.
     Idées-poissons, idées-oiseaux.
     Pensée qui nage et qui vole.
     Philosophie océanique.
     Pourquoi écrire ? Pour ne pas devenir complètement fou de cette ivresse-là. De cette ivresse blanche qui est la source de toute véritable écriture.

Extrait du chapitre « Le vent à Sept-Îles »


     C’est plus tard cette nuit-là que je rencontre Eskimo Joe.
     Il est planté sur le trottoir, tanguant d'avant en arrière, pérorant dans le noir.
     Un roi Lear des glaces !
     Quand je m’approche, il avance vers moi son visage encadré par la fourrure d’un capuchon d’anorak et dit :
     « T’aurais pas une pièce ? »
     Je lui demande ce qu’il veut en faire, mais c’est là une question de pure forme car l’odeur qui sort de sa bouche ferait pâlir une baleine.
     « Rhum. »
     Je plonge ma main dans ma poche et en tire un dollar ; je le lui tends.
     « Viens boire un coup ! »
     Il hurle ça avec un accent irlandais à couper au couteau.
     Qui c’est, ce gars-là ? Un Esquimau de Dublin ? Le baladin du monde septentrional ?
     Nous entrons dans le bar.
     Le barman regarde l’Esquimau, me regarde, mais ne dit rien.
     « Rhum ! Deux ! »
     Le rhum et sur le comptoir.
     Cul sec.
     « D’où tu es ?
     – Nain ! Labrador Nord ! »
     Je lui demande son nom.
    « Appelle-moi Joe, c’est comme ça que tout le monde m’appelle…
     Et il se lance dans un long monologue, marmonnant des choses sur ce « tout le monde ».
     Je suis curieux d’en savoir plus.
     « Tu travailles ici ?
     – Non, je chôme ici.
     – Qu’est-ce que tu faisais ?
     – Les mines de fer ! La Compagnie… »
     Et il reprend son monologue bredouillant.
     « Où est-ce que tu as attrapé cet accent irlandais ?
     – Partout ! Équipes de construction ! Je couvre le monde !
     – Où tu vas maintenant ?
     À cette dernière question, une lueur intrépide passe dans ses yeux hyperboréens et, faisant un rond de bras majestueux, il tonitrue :
     « Trans-Canada ! »

Extrait du chapitre « Eskimo Joe »

Presse
Kenneth White a dit en deux pages [de préface] ce qu’il développera en 221. Alors, pour avoir lu cette préface, n’allez-vous pas lire le reste ? Ce serait vous priver d’un grand plaisir. Car La Route bleue, participe de l’agenda de voyage avec notes prises quotidiennement, du cahier de méditation et du carnet de lecture. Voyage, méditation, lecture sont les trois fruits que l’on cueille le long de cette route bleue qui nous conduit du Québec jusqu’à la côte du Labrador, l’une des plus désertes et des plus déchiquetées du monde.
     Jean Chalon, Le Figaro.

Kenneth White est en route vers tous les possibles. Le Labrador le fascine, les mots le tentent. Il a tout décrypté, tout développé d’un voyage qui remonte à la découverte du Canada par Jacques Cartier. […] White est l’ami de l’espace et des grandes transhumances spirituelles. C’est un poète qui a besoin de ciel, de mer et de terre pour respirer juste et nous donner toute sa musique. Son livre de grand air est d’une simple et fascinante beauté. […]
J’ai dit, en son temps, le bien que je pensais des Lettres de Gourgounel et je n’ai pas été le seul. La critique unanime avait reçu ce livre comme un souffle d’air frais. Cette fraîcheur est intacte dans La Route bleue. […] Kenneth White est un grand poète et sa prose bénéficie largement de cet apport incomparable.
     Charles Le Quintrec, Ouest France

Ce n’est que lorsqu’on est « mort », mort à la pseudo-vie, que l’on peut, enfin, vivre une expérience plus fondamentale, avoir un aperçu des « chemins radieux de la connaissance ». C’est sur ces chemins que Kenneth White nous entraîne, pour notre jubilation.
     Roland Jaccard, Le Monde des Lettres.