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Dérives

Traduit de l'anglais par plusieurs traducteurs.
Paris, Laffont, coll. Lettres nouvelles, 1978.

Préface de l'auteur (début)

     Dérives… Une fois quittées les rives de notre culture, l’existence n’a plus d’amarres. Dérives du corps-esprit, recherches peut-être, au-delà du connu, vers… quoi ? Pas de promesses, pas de définitions. Mieux vaut voir le visage qu’entendre le nom.
     Il peut nous arriver de rêver d’un archipel anonyme, de prévoir un espace mental inédit, de projeter un nouveau territoire de l’être. Mais le rêve n’est pas la dérive, la prévision n’est pas le voyage, le projet n’est pas la présence.
     La théorie peut être brillante, mais le travail s’effectue dans l’obscurité, loin des assemblées, loin des conjugaisons établies. Pour éprouvante qu’elle soit, cette obscurité a ses lumières, et dans ce travail il y a, mêlée  parfois à l’angoise, une jouissance profonde.
     Un livre de voyage ? Oui, sans doute. Mais alors de voyages qui dépassent la géographie. Plutôt un livre d’essais, existentiels et intellectuels à la fois – approches, approximations, aperçus – par quelqu’un qui est avant tout un piéton, parfois un passager, toujours un passant.

Extraits
     On dit qu’en Bretagne il pleut quatre jours sur trois, ce qui ne laisse guère le temps pour autre chose. Eh bien, c’est peut-être ma chance, mais nous sommes en plein mois de janvier, et le ciel est prodigieusement bleu.  Le ciel est bleu, mon manteau est bleu, ma chemise est bleue, mon blue-jean franciscain est bleu, et une flamme bleue, elle aussi, éclaire vivement mon cerveau d’idiot. Je suis un diable bleu et le soleil est perché sur mon épaule, riant comme l’enfer.
     A voyager ainsi, où est-ce que je vais ? Nulle part. Je traverse bien des lieux de l’esprit, péniblement quelquefois, pour n’aller nulle part. Nulle part, c’est difficile, mais j’y arriverai bien un jour. Nulle part, c’est partout, c’est parmoi.

Extrait du chapitre « Les portes bleues de janvier »


     Harouk parle à travers les vapeurs du vin, du bon vieux temps à la Goulette lorsque, chaud lapin, il faisait la noce avec les petites Italiennes, et d’autres chouettes moments plus tard à Marseille. Puis il en vient à son auteur préféré, Alexandre Dumas, dont il possède tous les romans, rangés derrière lui sur des rayons. Puis de nouveau les Mille et Une Nuits de la Goulette. « Si je te racontais tout, tu pourrais écrire un bouquin », dit Harouk. Et je pense tout à coup que ce ne serait pas impossible. Un récit d’aventures picaresques et pittoresques – oui, Les Mille et Une Nuits de la Goulette. Je ferais de Harouk le hâbleur et bon vivant une figure mythique, un Gargantua, un Don Juan et un Haroun ar-Rachid tout à la fois. Ce qu’il est en train de dire : « Tu pourrais écrire un bouquin » est exacement ce qu’une vieille connaissance, là-bas dans les Gorbals de Glasgow, m’avait dit un soir qu’il m‘avait invité au Rising Sun (Le soleil levant) pour un « rafraîchissement » : « Tout ce qu’il te faut, c’est un magnétophone, mon gars, et c’est dans l’sac. – Quoi ça ? », je lui avais demandé. Là-bas, à Glasgow, je m’étais vraiment lancé dans un livre de ce genre, ou du moins j’avais commencé à noter un tas de faits et d’anecdotes autour d’un personnage nommé Mungo Reilly, sorte d’incarnation du génie de Glasgow. Mais je l’ai perdu en route. Maintenant, cependant, je me remets à jouer avec l’idée – avec Harouk et le port de Tunis et le mornag rouge. Un jour peut-être. Ou plutôt un soir. Mais non le moment d’écrire ce genre de livre est passé. Je suis maintenant dans une nouvelle aube, une nouvelle dérive, et il y a d’autres choses, plus radicales, à faire. C’est cela, pas de drame, pas de romanesque, mais la vérité de la dérive, les libres arabesques de l’esprit.

Extrait du chapitre « Le livre de la racine d’or »

Presse
Dérives nous entraîne de l’Écosse natale du poète à l’Irlande et à la Bretagne, des Pays-Bas en Camargue et en Tunisie […]. C’est un recueil d’instants vécus et médités, de hasards chaque fois accueillis avec faveur, de rencontres dont White partage avec nous les saveurs, les couleurs, les émotions.
     Jean-Clarence Lambert, La Quinzaine littéraire

Les poètes, les vrais, sont assurément des explorateurs. Kenneth White […] en est un dans le sens le plus complet du terme. […] Il  voyage, les yeux ouverts, attentif à la splendeur (et à la misère), à la multiformité (et à la difformité) du monde. Il suffit, par exemple, d’ouvrir à n’importe quelle page Dérives pour être aussitôt saisi de cette langue exacte, précise jusqu’à l’ivresse, qui sait bien capturer un reflet de soleil sur une maison de la ville natale, la couleur d’une route bordée de murets en pierraille du côté de Galway. Mais pour Kenneth White le voyage est double ; il est traversée du réel visible mais il est aussi périple, errance mentale…
     André Laude, Les Nouvelles littéraires

S’il fallait trouver des antécédents aux Dérives de Kenneth White, ce serait dans les journaux de voyage de Matsuo Basho ou dans les Notes de chevet de Sei Shonagon, à cause de l’attention au détail, d’une vue en quelque sorte énumérative et ponctuelle de la réalité. […] N’importent ces analogies. Ont-elles d’autre sens que de signaler paradoxalement tout l’inédit, tout l’inattendu du livre de Kenneth White ? Je ne voudrais pas qu’elles masquent la simplicité splendide de textes qui vont tout droit à l’essentiel et savent s’y tenir.
     Robert Mélançon, Le Devoir (Montréal)