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Les Limbes incandescents

Traduit de l'anglais par Patrick Mayoux.
Paris, Denoël, coll. Les Lettres nouvelles, 1976.


Préface (fragment)

     À l’arrière-plan de ce livre, bien plus qu’une conception de la littérature, il y a une sorte de yoga. […] On pourrait se le figurer comme une danse entre deux mondes ; c’est en dansant cette danse qu’un homme se porte d’une aliénation radicalement éprouvée jusqu’à… autre chose.
     Quant à la construction, j’ai souvent eu présent à l’esprit le dessin d’un jardin de pierres japonais traditionnel – fait au petit bonheur, dirait-on, et cependant doté d’harmonie interne et de nécessité. J’ai disposé et redisposé les pierres de ce jardin. […] Mais l’époque c’est la nôtre, et le lieu c’est la ville […]. Le livre s’étend sur huit années environ, à part quelques notes qui remontent à onze ans, avant que ce passage de chambre en chambre [dans Paris et sa banlieue] ne m’ait donné l’idée d’une certaine organisation. […] Le tout : un seul et même mouvement, une seule et même danse. Donc, onze ans, sept chambres. […]
     Dans un monde d’accumulation et d’agrégation, c’est un homme dés-agrégé qui parle.

Extraits
     On me considère toujours comme un Écossais. Pourtant je suis esquimau, par naturalisation. Et cette nationalité elle-même n’est qu’une convention de passeport, en fait, je suis hyperboréen. Personne ne sait rien des Hyperboréens. L’Hyperboréen est un homme en chemin erratique vers une région située par-delà. Les gens ne voient que l’erratique (les pierres qu’il laisse sur son chemin), mais lui voit par éclairs la région par-delà. De ce qui se trouve par là-bas, aucune définition n’est possible. On est à vingt mille lieues de toute civilisation.

Extrait du chapitre « Brève introduction aux études eskimo »


     Ma vie, c’est ce grand fleuve écumeux, aussi nu que l’enfer, et dix fois plus froid. Mes pensées sont des péniches. Les péniches de la compagnie de la Blanche Inspiration, qui passent ici en remontant le fleuve depuis Rouen et plus loin à l’ouest. Debout sur les ponts je prends des poses style Résolution et Indépendance regardant passer ma vie.
     Ainsi je me transporte dans un nouvel hiver. Avec moi c’est toujours l’hiver : hiver à sa fin, hiver débutant, hiver à mi-course, mais toujours l’hiver.
     Ils essayent tous de me faire croire qu’on est au printemps. Mais ils ne m’auront pas.

Extrait du chapitre « Errances hyperboréennes ».

Presse
White parcourt Paris à la recherche de nourriture spirituelle, de « signes ». Refusant le monde littéraire, il s’enfonce peu à peu dans les arcanes de la contemplation, du mandala de soi. Mais il ne prétend nullement à un discours total, car l’humour surgit à chaque détour de page, le sauvant d’un dogmatisme mystique qu’il refuse tout en l’utilisant, le « récupérant ». […] White est à la fois investi par une culture hindouisante qu’il admire, et méfiant par rapport à toutes les « gouroufiades » à la mode. Lui n’est jamais parti pour Kamandou, se contentant de s’asseoir dans une chambre, d’écrire des mots sur le mur, de regarder la pluie qui tombe sur le monde. Il se démarque complètement de l’acné spiritualiste et sa démarche est plus intime, plus près du vrai gouffre aussi. Il n’y a pas de sacré, rien que du vide. Foin de la littérature et des dogmes ! Subsiste la réalité.
     Tony Cartano, Les Nouvelles littéraires

Des rêves rapportés, des fragments de poèmes, des citations d’auteurs chinois, indiens, tibétains, des extraits de sutra et d’upanishad viennent découper cette existence en une succession de moments, « antithèse de la conscience historique », qui évoquent, comme l’auteur le dit dans sa préface, le yoga. On se trouve, pourtant, fort loin de Milarepa, à qui il est fait souvent allusion dans ces pages, loin même de toute mystique dont White semble se méfier, avec son ironie à fleur de peau et cet aspect occidental de sa personne auquel il ne renonce pas. On aurait l’impression d’un jeu un peu savant, si l’auteur ne nous affirmait vouloir par ses exercices d’écriture se porter « d’une aliénation radicalement éprouvée jusqu’à… autre chose ». […] Quand il nous affirme : « À deux heures du matin, les ponts de Paris ont les yeux bleus », nous le croyons. S’il se dit esquimau, nous le croyons aussi.
     Jean Freustié, Le Nouvel Observateur

Il y a deux façons de lire ce livre marquant : avec sérieux, en en suivant chaque ligne et chaque référence à tel ou tel écrit oriental ; sans sérieux ni respect de son ordonnance en pages numérotées. C’est que Kenneth White se plaît à ne pas choisir entre le récit qui dit quelque chose et celui qui se veut simple fait artistique en tant que tel : l’écriture.
      Philippe Guilhon, Le Quotidien de Paris.