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Le Grand Rivage

Édition bilingue, traduction de Patrick Guyon et Marie-Claude White.
Paris, Les Éditions du Nouveau Commerce, 1980.

     La structure du poèmes est « périplique », au sens que Pound donne à « periplum » – pas une carte comme chez Thomas d’Aquin, mais un sens général de la configuration et de la direction. La différence est que chez Pound il s’agit de culture mondiale, tandis que ce poème est autobiographique, l’autobiographie (esprit, chair et os) étant située dans un contexte culturel spécifique. […]
     Une autre description du mouvement général du poème consisterait à dire qu’il avance géographiquement vers le nord en direction d’une aire d’isolement et d’intégration, où un événement « simple » tel que la vue d’une veine de granit blanc (défini géologiquement comme le produit final du métamorphisme) courant le long d’une roche devient le signe d’une réalité intense. […] La première section du poème définit la fonction poétique : faire « du confus un monde qui dure » ; c’est là la fonction primordiale du poète, qu’expriment quelques-uns des plus vieux textes du monde, les Védas.
        
          Extraits de l’essai « Le long du Grand Rivage », dans Kenneth White, Une stratégie paradoxale
(voir à la rubrique Essais).

Extraits
Section 1
…………
                 car toujours revient la question
comment
                  dans la mouvance des choses
            choisir les éléments
                              fondamentaux vraiment
                   qui feront du confus
                           un monde qui dure
   et comment ordonner
                          signes et symboles
                    pour qu’à tout instant surgissent
                                         des structures nouvelles
                        ouvrant
                sur de nouvelles harmonies
                                  et garder ainsi la vie
                       vivante
                                       complexe
       et complice de ce qui est –
                                            seulement :
la poésie


Section 10

sarabande rouge dans les feuilles
                       et le vent passe
              ridant le ruisseau
                               le vent tout autour
      mais seules pénètrent au fond du bois
                      des rafales égarées
pénètrent dans l’ombre
                             et déjà sont allées –
         simplement
                               les feuilles en sarabande
                     et la ride de l’eau


Section 20

ma vie dans l’obscur
                      comme Hakuyu
            son nom disait
                        Blanche Obscurité
                   son nom disait
                          l‘homme qui vit dans les collines
                au-delà des Eaux Blanches du Nord –
ou bien caché mais en éveil
                      dans les cités d’Europe
       ma vie à fonder
                           les fondements
                   d’un monde


Section 28

et maintenant
            j’ai dans la tête
                      une vie
comme un cercle qui se dilate
                sans cesse
                            à force de connivence
                     et de compréhension
            plutôt qu’un centre farouche
                           de pure conscience de soi
                     je veux le tout
                                  circonférence et milieu
dans le centre c’est la fin des combats
            maintenant
                       que de signes tout autour


Section 46

et aussi
                 l’effort
             de saisir et de dire
                    cela
tout le foisonnant univers
                       que l’homme quelquefois
            si peu
                  rassemble


Section 49

mais toujours
                     ce langage exemplaire
           subtil comme la fleur
                                   fluide comme la vague
souple comme le rameau
                  puissant comme le vent
                           dense comme le roc
          unique
                       comme le moi
                                    beau comme l’amour

Presse
     Depuis quinze ans à peu près, une parole se déploie devant nous, majestueusement, saison après saison. Kenneth White nous questionne, nous bouscule, nous bouleverse. Qu’est-ce que ce diable d’Écossais a donc fait pour déranger les cartes du jeu établi ? Il a inventé, d’une certaine façon, le nomadisme en écriture et en pensée. Je veux dire par là qu’il ne cesse de marcher, des bardes celtes aux sages d’Orient. Voilà donc un poète en quête, un poète qui enquête. […] Cet homme n’a de cesse d’élargir le champ visuel, le champ spirituel traditionnel.
     L’Asie l’a fasciné. Il suffit d’ouvrir Hong Kong et Dérives pour s’en persuader. Kenneth White a beaucoup appris du bouddhisme zen, du Tao particulièrement. […] En Occident, nous sommes embrumés de métaphysique, de mots bavards. Kenneth White connaît l’économie du langage. Il parle bref, il nomme l’essentiel.
     Poète de la « connaissance », assurément. D’une connaissance qui ne saurait découler d’une réflexion abstraite, mais qui vient d’une longue méditation, d’une plongée brulante au cœur des réalités […].
     Le Grand Rivage s’inscrit dans cette recherche. Ce long poème en cinquante-trois séquences, est, doublement, un voyage : voyage à travers une réalité géographique, naturelle, humaine. Et voyage spirituel. D’emblée, l’épigraphe fournit les clés de ce texte magnifique : « De tout temps le rivage a été un lieu de révélation pour les poètes. » Rivage, qu’est-ce à dire ? Un rivage indique que la terre cesse, et que la mer commence. C’est donc une fin de terre, mais c’est aussi une ouverture, c’est l’inconnu, le possible […].
     Il faut lire Le Grand Rivage à plusieurs niveaux : c’est d’abord un admirable compte rendu de la réalité de la côte ouest de l’Écosse. Cent notations témoignent que Kenneth White est un Hokusaï du verbe. Voilà soudain que des mots usés restituent la réalité : écume, vent, sable, plumes, brume. Mais il faut voir aussi dans ce poème la tentative d’envol de l’Esprit vers cette « blancheur» qui tourmente, blancheur qui ne peut se conquérir que par l’éternel accord nuptial avec le mystère des grands espaces vierges.
          André Laude, Le Monde des livres